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Le pourquoi de l’acteur

« Qui ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? »

Questionnements d’acteurs

Dans toutes les scènes, et cela on l’apprend dans tous les cours de théâtre et les écoles d’art dramatique, de Paris à Bordeaux, le plus important n’est pas le texte, c’est la situation. Nous répondons donc à ces questions : Qui ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?

Le qui-où-quand est généralement plus facile à trouver. Il suffit d’analyser les circonstances données du texte et les réponses se trouvent généralement facilement. Sauf chez certains auteurs comme Beckett ou par moment Lagarce qui font exprès de ne pas les expliciter.

Le comment est donc : comment je vais faire pour jouer, en tant que comédien le qui-où-quand. C’est à dire qu’est ce que je vais faire. Je rappelle que l’acteur est un actant, il agit et réagit.

Pour savoir comment je vais jouer le pourquoi, ça c’est une autre histoire. Tout personnage a une volonté, un désir, une intention. Et c’est cette intention qui le mobilise et le fait évoluer dans la pièce.

Le pourquoi du personnage

Le schéma actanciel

Pour trouver l’intention du personnage il faut comprendre, comme nous l’explique Anne Ubersfeld, le schéma actanciel.

  • Un personnage (sujet) a un désir (intention).
  • Ce désir vient de quelque part (origine) et va quelque part (fin).
  • A ce désir, il ya des opposants (autres personnages qui s’opposent au désir) et des adjuvants (personnages qui aident au désir).
  • Si le sujet arrive à son désir c’est une comédie. S’il n’y arrive pas c’est une tragédie.

Comment trouver l’intention du personnage ?

L’intention s’exprime toujours par un verbe d’action ou performatif. Car il pousse à l’action, au mouvement. Reprenons nos définitions du Larousse.

verbe d’action

Un verbe d’action, ou verbe dynamique, est un type sémantique de verbe dont le procès indique un acte, une opération, une activité typiquement effectuée par un agent, éventuellement sur ou à destination d’un patient. Le verbe est alors dit transitif. Un verbe d’action s’inscrit dans le temps, peut impliquer une durée ou ne définir qu’un évènement ponctuel. L’action peut être volontaire ou non de la part de l’agent.

Exemples en français : « courir », « manger », « chanter », « parler », « travailler », « partir », « dormir », « entendre », « tomber », « recevoir », « finir », etc.

Du point de vue des fonctions syntaxiques, les verbes d’action sont ceux qui définissent un sujet et éventuellement un ou plusieurs objets. Les verbes qui ne sont pas d’action sont des verbes d’état.

Nom masculin

performatif

Se dit d’un verbe dont l’énonciation constitue simultanément l’action qu’il exprime. (Par exemple : Je jure, je promets sont des énoncés performatifs.)

nom masculin

Constantin Stanislavski propose de relever dans le texte tous les « je veux », « j’aimerais », « je souhaite »… Exprimé par le personnage ou par les autres personnages à son égard. La résultante, le dénominateur commun, le leitmotiv de tout cela constitue le désir du personnage. Il n’est pas évident à trouver. Mais une fois trouvé, il permet à l’acteur de savoir comment il va jouer ce personnage. Attention, on ne trouve pas forcément du premier coup. C’est une recherche intuitive, non littéraire. Ce n’est pas de l’explication de texte. Il faut essayer, se tromper, essayer autre chose, se tromper encore, etc..

Mikhaïl Tchekhov propose lui d’imaginer où serait et ce que ferait son personnage après la pièce s’il arrivait à son but (si le personnage meurt pendant la pièce, il faut s’imaginer qu’il ne l’est pas. Personne ne se souhaite mort. Sauf si c’est son désir, mais là c’est une autre histoire). Exemple : Si Roméo et Juliette n’était pas mort ? Si Hamlet ne mourrait pas ? Si Dom Juan survivait ?… Je vous laisse imaginer.

Maria Knebel (qui a travaillé et avec Stanislavski et avec Tchekhov ), évoque l’action transversale. L’action transversale c’est le but qui nous traverse et qui nous fait agir et réagir d’une certaine façon. Quel est le début du personnage et la fin du personnage, et comment le personnage a évolué de l’un à l’autre.

Exemple : J’ai bu trop de bière dans un bar, j’ai une irrésistible envie d’uriner… Mon ami en face de moi me parle de quelque chose de très important pour lui… Difficile de s’éclipser, je ne veux pas le couper et le vexer. Et je veux vraiment l’écouter. Mais je veux vraiment uriner… Cette transversalité m’amène à écouter, regarder et me mouvoir différemment. Je guette les silences pour pouvoir dire : « excuse moi, j’arrive, il faut que j’aille aux toilettes… »

Autre exemple : Je suis dans un bar, encore et toujours. Et oui pour moi les bars sont les endroits de convivialité et d’exploration de la nature humaine les plus propices à la découverte. Je rencontre une fille qui me plaît… Je lui plaît aussi… Nous parlons de la pluie et du beau temps… Nous entamons des banalités… Mais intérieurement quelle est notre intention ? Séduire, s’embrasser, faire l’amour… Notre voix, notre posture, notre comportement ont changé depuis cette rencontre…

En conclusion, bien définir l’intention du personnage permet donc aux acteurs et comédiens d’ analyser les ressorts de ce personnage et de comprendre comment le jouer. Attention, l’intention doit être toujours puissante et forte et importante pour le personnage, et pour le comédien. Sinon, le jeu devient banal et anecdotique. Tout stimuli d’acteur doit être plus fort, plus violent, pour traverser l’écorce, passer la rampe et atteindre le public. L’art est un excés. Le comédien, pour exprimer une vérité, doit être dans un excès aussi. Il doit donner une énergie de plus que le commun des mortels.

Tout se rétrécit dans l’action.

Proverbe d’acteur

Exemple de Schéma actanciel

Prenons « Dom Juan » de Molière.

  • Sujet : Dom Juan
  • Désir : Faire impunément ce qu’il veut
  • Origine : Jeune homme riche, noble, sans aucuns problème. Il cherche le plaisir dans tout.
  • Fin : On le fait mourir
  • Opposant : Elvire, Don Carlos, Dom Luis, Le commandeur
  • Adjuvant : Lui même, Sganarelle

Dom Juan arrive-t-il à son désir ? Oui. Dans la pièce il fait ce qu’il veut. Il décide même de jouer l’hypocrite pour continuer à faire ce qu’il veut. Seulement on le tue, ou plutôt on le fait disparaître. Avec le personnage, le concept proposé disparaît. Ce que la pièce met en exergue c’est qu’une telle manière de percevoir les choses et de les vivre, dans la société (Par rapport à Dieu, la morale et l’honneur), ne peut aller que vers la solitude et la mort. Alors que c’est exactement ce qui est en train de se passer réellement dans la cour de Louis XIV. Le faire mourir est un coup de théâtre. On adoucit après la provocation.

Un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature.

Dom Luis dans « Dom Juan » de Molière

Le pourquoi de l’auteur

Le super-objectif

A force d’expérience, nous savons que l’obsession de Pinter est la torture, Tennessee Williams l’évasion, Molière la provocation, Shakespeare la réalité et l’imaginaire, Lagarce l’évacuation du concept bourgeois… Tous ont leur obsession. Mais il est important de comprendre dans la pièce que vous travaillez, quel est le super-objectif de cette pièce.

Toujours selon Stanislavski, chaque scène, personnage, situation de la pièce serve le super-objectif de la pièce. Qui s’apparente donc à l’intention de l’auteur. Qu’a voulu raconter l’auteur à travers cette pièce ? Chaque scène a un objectif et tous ces objectifs réunis servent le super-objectif. Il est donc primordial d’analyser la structure de la pièce, l’articulation des séquences, les chutes de chaque scènes. Et bien sûr la chute, l’évidence finale. On peut, par exemple, donner un nom à ces séquences, scènes, sketchs.

Le plus important dans une histoire, c’est la chute.

Un conteur

Et comment commencer une histoire si on ne connaît pas la fin ?

La fin est dans le commencemment.

Jean-Laurent Cochet

Mikhaïl Tchekhov propose lui d’imaginer les réflexions des spectateurs après la pièce. Qu’est ce qu’ils se diraient ? Qu’est ce que ça leur a fait ? Qu’est ce que j’aimerais qu’ils se disent ? Le théâtre étant toujours à destination du public, dans le but de le toucher, l’atteindre, le sensibiliser, en répondant à ces questions le super-objectif peut se dessiner.

L’ enquête sur la pièce, sa thématique, son auteur, le contexte va aussi énormément vous aider. Il est important de parcourir sa bibliographie, sa vie, lire et/ou écouter des interviews, aller voir des spectacles, des films… Comme dit plus haut, chaque auteur a son obsession. L’ univers global d’un auteur aide à comprendre une pièce en particulier. Et la technique de jeu, l’atmosphère, la couleur, la forme, n’est pas la même chez La Fontaine, Molière, Shakespeare, Marivaux, Pinter, Horowitz, Grichkovets, Anton Tchekhov… Chaque écriture implique une autre obsession de jeu.

Le pourquoi du comédien

Nous avons donc l’intention de l’auteur, celle du metteur en scène, celle du directeur d’acteur… Et celle du comédien alors ?

Il y a le personnage, le comédien et l’être humain. Quand nous jouons nous sommes dans un paradoxe. A la fois dans le moment présent, intérieur à la scène (le personnage) ; à la fois trois métros d’avance afin de préparer ce qui arrive (le comédien) ; et à la fois à l’extérieur de la scène avec nos perceptions et sentiments : « Il fait chaud… Il fait froid… Tiens, il est là lui… Pas mal ce soir!… C’est la deuxième, ça marche beaucoup moins bien, j’en chie!… »(l’être humain). C’est le célèbre « paradoxe du comédien » selon Diderot. Ce triple, cette trinité est très importante dans le jeu.

L’intention du comédien

Qu’est ce que je décide de dépasser avec ce travail par rapport à mon métier d’acteur ? Quel registre différent je vais explorer ? L’intention du comédien est à définir pour le comédien par le comédien.

Elle se travaille, d’une part, sur la durée globale de la préparation du spectacle avant la première représentation. Cherchant toujours à aller ailleurs, faire quelque chose de nouveau par rapport aux productions passées. L’ intention de l’acteur c’est de chercher un plus sur ce projet par rapport à la pratique de son art. C’est un nouveau défi personnel quant à sa discipline d’acteur.

L’ intention se travaille, d’autre part, à chaque nouvelle représentation. le comédien doit se donner une commande, se stimuler par un exercice propre : « Aujourd’hui je vais insister sur les appels, la rythmique, l’intention, le rebonds… » Bien sûr dans le but de servir l’intention du personnage et le super-objectif de la pièce. C’est un perpétuel entraînement. Rappelons nous que rien n’est jamais acquis.

L’ intention de l’être humain

Elle est légèrement différente. Je la définirai comme ceci : Qu’est ce que je vais mettre de mon humanité et de ma mémoire d’être humain dans ce personnage ?

Par exemple, jouer une femme alors qu’on est un homme. C’est très difficile. L’ inverse l’est tout autant bien sûr (pas de différence de genre là). Dans « Tootsie », Dustin Hoffman a trouvé, pour lui-même, l’intérêt du rôle à partir du moment où il a compris qu’il ne devait pas jouer une femme. Il n’essayait pas de faire la femme. Il jouait « un homme qui devient meilleur en étant cette femme. » Il y a mis une intention en plus. Une intention qui le touche, ébranle son intimité et son humanité. Et le film n’en est pas moins très drôle.

Quelle est la part faite à l’humanité (avec ses vertus et ses vices) dans votre travail ? Qu’est ce qui fait que c’est vous qui racontez ? Qu’est ce que vous voulez raconter d’ailleurs à travers ce texte, ce personnage, cette situation ? Et s’il vous plaît, ne soyez pas dans le réalisme anecdotique. Donnez votre extra-ordinaire. Vous transmettez quelque chose, vous n’êtes pas en thérapie. C’est à vous d’éclairer le public, et non l’inverse.

Le fait de cumuler, d’ajouter les intentions, les pourquoi, rendra toujours l’oeuvre artistique plus forte.